On n’aime guère que la Paix
1914/1918, De la Corse aux Balkans,les Serbes en Corse[i]
Le 13 novembre, à Belgrade capitale de la Serbie, devant près de 150 personnes et la Radiotélévision Serbe (RTS) et la veille le 12 novembre dans la ville de Novi Sad, capitale de la Voïvodine, était présenté le livre « 1914-1918, De la Corse aux Balkans, les Serbes en Corse ». Cet ouvrage collectif écrit à deux mains, serbe et corse, est un regard croisé sur une histoire commune qui relie la Corse et la Serbie.
C’est autour de l’histoire tragique d’une guerre, de ses conséquences, de ses exils, de ses peines, que se sont tissés les liens si étroits, empreints de solidarité, entre ce pays, la Serbie, issu de l’ex-Yougoslavie, et cette petite île de la Méditerranée, la Corse.
Parce que l’on n’aime guère que la Paix, l’association Per a Pace, Pour la Paix, dès le début des années 1990, s’est intéressée et rapprochée de cette région des Balkans en participant à une conférence pour la Paix organisée à Ohrid, ville macédonienne. À l’origine le conflit qui voit se déchirer un pays, la Yougoslavie. Cette partie du monde qui a été le point de départ de la terrible guerre 1914-1918.
Très vite l’association s’est engagée dans des actions de solidarité, d’échanges et de rencontres avec les Balkans et la Macédoine dans un premier temps. C’est là à Bitola (ex Monastir), avec la visite du cimetière militaire français que l’histoire commune entre la Corse et les Balkans s’est rappelée à nos mémoires. Pour être juste, déjà en Corse, à l’évocation des Balkans, des familles s’étaient rapprochées de Per a Pace. Elles n’avaient pas oublié, la douleur toujours au cœur, qu’un de leur proche, un grand-père, un grand-oncle, … avait disparu, là-bas sur ce grand front qu’était le front d’Orient, sans savoir où il était inhumé.
Comme une quête, année après année, d’actions de solidarité en actions de solidarité, d’échanges en échanges, de rencontres en rencontres, Per a Pace s’est rendue à chaque fois sur ce lieu emblématique du front d’Orient. Elle a relevé les noms des 73 soldats corses identifiés et inhumés à Bitola. Elle a très vite, en hommage à tous ces jeunes soldats, étendu ses recherches aux autres lieux d’inhumation de la région avec 16 soldats corses inhumés relevés à Skopje, 4 soldats corses inhumés à Belgrade et Zaječar, 4 soldats corses inhumés à Kora en Albanie, 3 soldats corses inhumés à Sofia en Bulgarie, 41 soldats corses inhumés à Zeitenlik en Grèce.
L’horreur d’une guerre se lit aussi dans la retranscription des âges des appelés, ils sont mentionnés dans l’ouvrage. Nombreux sont aussi ceux qui ont été inhumés anonymement car non identifiés.
La Corse y a laissé un lourd tribut, de nombreux villages ont perdu leur force vive dans ce conflit qui fut le plus meurtrier de l’histoire. Plus de 20 millions de morts si l’on compte les morts aux combats, des suites de blessures, des suites des maladies contractées dans des conditions de survie effroyables, des « morts pour l’exemple », des civils, enfants, femmes, hommes… et autant de blessés à jamais meurtris et pour qui le retour a souvent été un long calvaire. Quelle aberration, la guerre !
La Corse, petite île de la Méditerranée, s’est montrée alors courageuse et solidaire et a, lors de cette guerre, accueilli dans ses villes et villages, des enfants, des femmes et hommes qui cherchaient refuge, fuyant les horreurs et atrocités commises. Dès la fin de l’année 1916, 5 000 réfugiés serbes débarquaient en Corse. Les villes de Bastia, Ajaccio, les villages de Bocognano, Ucciani, Coti Chiavari, entre autres, offraient à cette population désespérée un moment de répit et du réconfort.
C’est grâce à la rencontre en Serbie, en 2005, de Zoran Radovanovic, enseignant et historien passionné, que Per a Pace a sorti des mémoires cette histoire commune entre la Corse et la Serbie.
C’est à l’église de Drenovac, près de la ville de Šabac, sur la tombe de Jakov Cupic, qui exerça sa mission de prêtre dans l’église serbe pour les réfugiés à Bastia entre 1916 et 1918 que Zoran nous a parlé de son travail de recherche et des divers documents qui l’étayaient.
Mais il est vrai que dans la ville de Šabac, la Corse y était célébrée, comme l’a découvert l’association en visitant le musée de la ville. Des toiles colorées, du peintre et architecte réputé du pays, Milan Minic, représentaient les calanches de Piana, le mont Gozzi, … Milan Minic ayant fait partie des réfugiés serbes en Corse.
Il nous fallait alors valoriser cette part d’humanité qui se transcende alors, au cœur d’une guerre atroce, pour abattre toutes les frontières et développer des trésors de solidarité que l’on voudrait éternels.
L’ouvrage « 1914-1918, De la Corse aux Balkans, les Serbes en Corse » refait vivre cette mémoire indispensable pour que le sacrifice des uns ne soit pas vain et se fasse aux bénéfices des générations qui suivent.
La solidarité est un vecteur essentiel pour que la Paix existe. Ce sont aussi les rencontres et les échanges, les trajectoires de femmes et d’hommes engagés sur les chemins de la paix, de la culture et de la solidarité qui par de petites histoires font la grande Histoire, celle dont on ne devrait avoir de cesse de parler.
Au travers ses 52 actions dans les Balkans, l’association Per a Pace entretient et consolide des liens extrêmement riches. À chaque action de solidarité s’est associée une action culturelle et autour de cette histoire entre la Corse et la Serbie pendant la 1re Guerre mondiale, la venue des toiles de Milan Minic à Ajaccio pour une exposition au Lazaret Ollandini, en partenariat avec théâtre Point la mise en scène de lecture de correspondances de l’époque entre des soldats corses combattants au front d’Orient et leur famille, la réalisation d’une exposition en 12 calicots retraçant les différentes périodes du conflit qui a reçu le label officiel du centenaire de la 1re Guerre mondiale.
L’Histoire se poursuit, les mémoires font resurgir des passés enfouis. La guerre produit souvent des tragédies familiales qui se transmettent de génération en génération.
De la France à la Serbie, en passant par la Corse, des familles ont sorti des boites, actes de naissance, de mariage, des photos…, d’un grand père corse et d’une grand-mère serbe mariés à Ajaccio, d’un grand père, d’un grand oncle, fiers soldats du front d’Orient, jamais revenus et toujours disparus car non localisés etc. Des histoires de solidarité et d’amitiés qui ne demandent qu’à revivre.
Nous vivons aujourd’hui un monde chaotique, guerre, torture, barbarie, assassinats, génocides, famine, emprisonnements, abandons, noyades, … Ces infamies vont crescendo couplées à des environnements répressifs qui touchent d’abord les plus démunis. En écrivant cet ouvrage Per a Pace ne peut se dissocier de tous ces événements qui entachent notre monde localement, régionalement, nationalement, mondialement. Des mobilisations existent, les solidarités existent, il est un devoir aujourd’hui de les faire vivre et de résister à cet enfer capitalistique qui fait vivre et alimente toutes les guerres quel qu’elles soient.
A la force des armes, il faut substituer la force du dialogue et de la raison.
« Ce sont les rencontres qui font de nous des humains » Albert Jacquard
Per a Pace, avec l’édition Scudo, présentera l’ouvrage « 1914/1918 De la Corse aux Balkans, les Serbes en Corse » le samedi 14 décembre 2019, de 14h30 à 17h30, à Locu Teatrale.
Pascale Larenaudie
[i] Auteurs : Pascale Larenaudie, Tanja Milosavljevic, Zoran Radovanovic, Jacques Casamarta, Hadrien Orsini, Guy Lannoy et la participation de Franci Aïqui. Edition Scudo : www.scudo edition.corsica